Philippe Lemesle, 57 ans, est en train de voir sa femme partir. Elle s'en va parce que l'homme qu'elle aime s'est lentement laissé engloutir par la pression de son travail. Cadre dirigeant dans un groupe industriel américain, pris entre le marteau et l'enclume, il ne sait plus comment répondre aux injonctions de ses supérieurs. Aujourd'hui, il est à bout de souffle.
La dernière fois que Stéphane Brizé avait donné de ses nouvelles, c’était avec En guerre, une œuvre de fiction démontant les mécanismes de cette loi du marché s’en prenant à la collectivité. Un autre monde marche sur les mêmes traces en développant davantage la perte de sens de la vie d'un dirigeant d’entreprise. Tout commence par une réunion de concertation du couple avec ses avocats pour finaliser les modalités financières de leur séparation. Un moment de tristesse magnifié par un sens fulgurant du cadre. Et puis, on passe rapidement sur la mise en place du plan social. Tout le film va progresser ainsi, sur un fil, noyé dans la violence des échanges en milieu tempéré.
Sans réduire son œuvre à un pamphlet politique, le réalisateur explore, de manière austère, son terrain de prédilection à savoir le monde du travail témoignant des mécanismes de destruction des emplois en même temps que leurs conséquences humaines. Par la puissance simple de son dispositif, le metteur en scène réussit à montrer les failles de chaque personnage, le désarroi, la folie ou la faiblesse des hommes et des femmes qui défilent.
Vincent Lindon, la très grosse cote d’amour du métier, retrouve ici son réalisateur fétiche. Impeccable de bout en bout, il n’a jamais été aussi juste et expressif dans ce rôle qui lui va comme un gant. Son jeu à fleur de peau magnifie sa prestation. Sandrine Kiberlain, est encore plus prodigieuse que d’habitude, campe une épouse esseulée, tiraillée entre un fils qui dévisse et un époux déchiré entre ses obligations professionnelles et les restes de morale qui subsistent dans son caractère.
La prestation d’Anthony Bajon, dans le rôle du fils, révèle tous les talents d’un acteur hyper doué qui confirme, de film en film, une montée en puissance phénoménale. Et les premiers pas de Marie Drucker au cinéma tirant parfaitement son épingle du jeu.
Dans la lignée des films de Ken Loach, Un autre monde se révèle un beau morceau de cinéma, follement impressionnant.
Renaud Jeanmart
Bonus : Commentaire audio de Stéphane Brizé/ Entretien avec Stéphane Brizé, Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain (16 min)