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Rencontre avec nos stars préférées


Daniel Knauf

Carnivàle


"Toutes les grandes épopées parlent du combat du bien contre le mal."


Propos recueillis par Laurent De Groof © à l'occasion du 25ème Festival du Film Fantastique de Bruxelles (avril 2007).





Cinemaniacs : Comment avez-vous eu l’idée de créer l’univers de Carnivàle ?

Daniel Knauf : Mon père était dans un fauteuil roulant, il avait la polio. Grandir dans un foyer avec une personne handicapée attire beaucoup d’attention. J’ai toujours été touché par le regard des autres sur les personnes dites différentes. L’idée derrière Carnivàle était de montrer comment des personnes différentes peuvent tout à coup devenir des gens comme les autres. Je suis un grand fan de Freaks de Tod Browning. Les fêtes foraines m’ont aussi toujours fascinées.

Cinemaniacs : Comment expliquez-vous cette attirance ?

D. Knauf : Les fêtes foraines sont avant tout une expérience humaine. C’est quelque chose qui évolue avec les gens. Pour un enfant, c’est un monde magique. Un adolescent sentira davantage son côté sensuel et un adulte y verra tout autre chose. Les fêtes foraines sont une expérience très marquante, parfois traumatisante dans la vie d’une personne. Les forains sont des nomades, tout comme les gitans. Ils ne pointent pas pour aller travailler. Ils se déplacent de villes en villes et gagnent leur pain quotidien où ils peuvent. J’ai trouvé cet univers tout à fait intriguant au 21ème siècle. Cela a un côté romantique. Je voulais parler de tout cela, des forains et des gens bizzares. J’ai de tout temps admiré le travail d’auteurs comme Tolkien et Dickens. J’adore les grandes épopées pour leur audacité et leur envergure. Toutes les grandes épopées parlent du combat du bien contre le mal mais je ne voulais pas que cela. Pour moi, rien ne devait être blanc ou noir. Je désirais des nuances de gris. Personne n’est tout à fait bon ou mauvais.

Cinemaniacs : L’histoire a-t-elle beaucoup évolué par rapport à votre idée originale ?

D. Knauf : Au départ, je désirais planter mon histoire dans un monde post-apocalyptique. J’y ai longuement réfléchi et puis je me suis dit qu’il existait déjà tant de films et de séries post-apocalyptiques que je ne pouvais pas m’y embarquer. C’était déjà devenu avec le temps un sous-genre. Je me suis ensuite dit qu’il serait peut-être mieux de créer quelque chose dans le passé. Les Etats-Unis sont un pays très jeune. Nous n’avons pas autant d’histoire qu’en Europe pour faire une mythologie. L’Europe est riche en histoires et mythes. Aux Etats-Unis, nous avons la conquête de l’ouest qui a déjà été écrite dans tous les sens. J’ai donc choisi une période entre la première et la seconde guerre mondiale, au moment de la dépression. Ce choix étant établi, j’ai commencé par écrire un scénario pour le cinéma. Mais je me suis rapidement rendu compte que c’était impossible. J’avais déjà écrit près de 200 pages et je n’avais toujours pas réussi à exprimer toutes mes idées. J’étais un très jeune scénariste à cette époque et je manquais d’expérience. Je ne savais pas que ce que j’essayais d’écrire allait prendre autant de temps. J’ai finalement décidé d’abandonner. C’était au début des années ’90. Par la suite, j’y suis revenu avec l’idée d’une série. J’ai donc écrit le pilote. Je n’avais jamais fait de télévision, je n’y connaissais rien. La plupart des gens qui travaillent à la TV ont une vingtaine d’années et j’en avais 35. Je ne pensais pas pouvoir rivaliser avec ces jeunes. Je me suis donc retiré à nouveau. Beaucoup plus tard, au début des années 2000, quelqu’un est tombé sur mon script et l’a donné à Scott Winant, un producteur exceptionnel à qui l’on doit notamment My So Called Life et Thirtysomething. Nous nous sommes rencontrés et nous avons développé certaines idées avant de nous rendre chez HBO qui a acheté le pilote.

Cinemaniacs : Comment compareriez-vous les deux saisons ?

D. Knauf : La première saison est assez différente de la deuxième. J’ai travaillé de très près au développement de cette saison mais c’était davantage Ronald Moore qui la dirigeait. Il y avait beaucoup de compomis. La première saison reste néanmoins très proche de ce que je désirais faire du point de vue narratif mais la deuxième représente certainement plus ma vision originale. En télévision, on travaille avec tout une équipe de scénaristes. Je connaissais l’histoire dans sa globalité. Je savais quel chemin il fallait emprunter, quels détours prendre afin d’arriver à la fin de l’histoire. Mais j’ai toujours voulu écouter les idées des autres scénaristes. La seule grosse différence par rapport à mon idée de départ dans la première saison fut la mort de Lodz. J’avais un agenda précis pour ce personnage qui s’étendait sur toute la série. Avec le recul, c’était peut-être la meilleure solution étant donné la tournure des choses. HBO a aussi insisté pour que le personnage disparaisse. Lodz doit mourrir! J’avais des projets pour lui... Tout le reste est très proche de ce que j’ai toujours voulu.

Cinemaniacs : Quelle fut votre implication dans le choix du casting de la série ?

D. Knauf : Le choix des acteurs est toujours un long procédé. On les rencontre durant des auditions, on les choisit et puis on présente notre décision à la chaîne. Mais c’est avant tout Rodrigo et moi-même qui avons fait le choix des comédiens. Nous avons certainement eu le plus grand impact sur le casting. Nous étions d’accord sur la plupart des acteurs. Sofie avait été écrite comme une femme d’une étonnante beauté. Et puis Clea DuVall a auditionné et nous l’avons trouvée brillante. Il nous la fallait dans la série. Physiquement, elle ne correspondait pas au personnage. Les autres producteurs n’étaient donc pas d’accord. Ils voulaient une belle plante. (rires) Ils étaient très surpris de notre choix. La chaîne a finalement approuvé. Amy Madigan (ndlr qui interprète Iris, la soeur du père Justin) a été choisie plus tard. J’étais très heureux d’avoir pu trouvé Nick Stahl pour jouer Ben. Tout s’est passé très vite avec lui. Nous avons été boire un café et à la suite de notre entretien on savait qu’il était fait pour jouer le rôle. Le frère Justin a été très difficile. Nous nous sommes battus pour avoir Clancy et j’en suis très content. Le casting était brillant.

Cinemaniacs : Parlez-nous de votre point de vue sur la légende des Avatars...

D. Knauf : C’est l’histoire de Dieu et des hommes. Toute l’idée repose sur le fait que chaque génération donne naissance à un avatar du bien et du mal. Mais on a beau être le mal incarné, on n’en est pas moins en partie un humain libre de ses choix. Le frère Justin se bat justement contre son humanité avant de succomber au mal. J’étais intrigué par ce concept de l’avatar. Je me suis posé la question de savoir qui pourrait être un avatar. J’ai pensé à Jésus, Bouddha,... Il y a des avatars de toute sorte. Certains sont bons, d’autres sont de complets échecs, d’autres sont morts futilement, d’autres sont devenus alcooliques comme le personnage de Scudder qui est un avatar du mal qui refuse de jouer le jeu. Mais malgré cela il ne laisse que chaos partout où il passe. Ce fut très amusant de jouer avec cette mythologie.

Cinemaniacs : Que feriez-vous avec le pouvoir d’un avatar ?

D. Knauf : Ce que je ferais ? Cela dépend de quel type d’avatar je serais... (rires) Qui dit que je n’en suis pas un ? Ben a le pouvoir de guérir les gens. Il a la possibilité de transférer la puissance d’une chose dans une autre. C’est la raison pour laquelle dès qu’il guérit quelqu’un, autre chose doit mourir. C’est une ressource inépuisable et pourtant vous ne pouvez rien créer. On s’aperçoit aussi au fil des épisodes que Ben a aussi le pouvoir de soigner les gens spirituellement grâce à l’amour. L’amour est un pouvoir illimité. J’ai trois enfants. J’adore mon premier enfant autant que mon deuxième ou que mon troisième. L’amour est quelque chose de sans fin. On voit un exemple de cela dans la deuxième saison lorsqu’un homme sur la route essaie de vendre sa fille à Ben. Ben le guérit. Dans la première version de cette scène, écrite par John McLaughlin, Ben devait le terrasser, le battre. Mais je m’y suis opposé. Au contraire, il pose ses mains sur cet homme et lui dit : « Ne fais pas cela. ». C’est une scène très puissante. Même les acteurs en avaient peur. Et elle fonctionne très bien. C’est çà l’essence du pouvoir de Ben. Alors pour répondre à la question de ce que je ferai avec le pouvoir d’un avatar, j’essaierais de guérir l’esprit des gens. C’est un peu ce que je fais en tant qu’artiste et scénariste. Je tente d’inspirer les gens. Mes héros d’aujourd’hui sont des gens comme Gene Roddenberry. Lorsque je me suis rendu à ma première convention Star Trek avec Tracy Tormé et que j’ai vu tous ces fans en costumes j’ai réalisé qu’il n’a pas seulement créé une série mais il a passé le don de créativité comme un virus. Tous ces gens sont devenus créatifs en fabricant leurs costumes, en écrivant des nouvelles, etc.

Cinemaniacs : Pourquoi la série a-t-elle été arrêtée ?

D. Knauf : J’y ai longuement réfléchi. Je pense que la raison peut être résumée en quelque points. La série était très cher. Sa réalisation coûtait beaucoup trop. Je crois que l’attente de HBO par rapport à la série était très irréaliste. La chaîne s’attendait à ce que nous faissions les chiffres des Sopranos. Ce qui était assez invraissemblable pour une série de genre. Elle n’avait pas le potentiel des séries dominantes. Je crois que la troisième saison aurait pu nous apporter cette différence. Les chiffres étaient en constante évolution. En fin de saison, nous avions battu Deadwood. Je crois qu’en finalité, on aurait pu atteindre la masse de public comparable aux séries de science-fiction. Il fallait nous laisser le temps de nous installer. Le public général est toujours le plus difficile à obtenir. Les fans de genre sont prêts à tout voir. Je pense qu’une nouvelle saison aurait pu tout changer. Je suis aussi convaincu que HBO n’a pas fait suffissament de promotion autour de la série. Nous n’avons jamais assisté à des conventions, etc. Je crois qu’ils ne savaient pas vraiment comme aborder la promo de la série. C’était assez nouveau. Ils ont dépensé pas mal d’argent pour la publicité mais elle n’était peut-être pas assez bien dirigée. Nous n’avions donc pas assez d’audience par rapport à l’attente. HBO savait que c’était la fin des Sopranos et de Sex and The City. Ils voulaient développer de nouveaux projets. Pour cela, il fallait libérer des fonds. Carnivàle en a été la victime. La réponse des fans fut hystérique ! HBO a reçu des milliers de lettres et de mails. Et même plusieurs menaces de mort ! Mais une fois que la décision était prise, il n’y avait plus rien à faire.

Cinemaniacs : Qu’aviez-vous prévu pour le premier épisode de la troisième saison ?

D. Knauf : Beaucoup de choses... Mais principalement, on aurait repris l’histoire quatre ans plus tard. Ben et Samson travaillent pour une autre fête foraine. Jonesy a repris le baseball professionnel. Et Sofie est restée avec le frère Justin et leur enfant... enfin ce qu’on croit être leur enfant...

Cinemaniacs : Pensez-vous nous livrer la fin de l’histoire au cinéma ou en téléfilm ?

D. Knauf : On en a parlé. Ils nous ont offert la possibilité d’un téléfilm mais j’ai refusé. Je n’ai raconté que le tiers de l’histoire. La fin de l’histoire n’est pas l’essence de Carnivàle. La fin de l’histoire est déjà dans la série. La scène du baiser nucléaire est l’image de fin de l’épopée. Ben et Sofie en train de s’embrasser au milieu de l’explosion de la première bombe nucléaire. C’est la fin de mon histoire. Elle est là, nous l’avons filmée. Mais la fin n’a aucune importante. L’aventure est le centre de Carnivàle. Personne ne se soucie de résumer l’histoire en 2 heures de film. Le public aimait avant tout retrouver les personnages et suivre leurs aventures. Faire une fin ne servirait pas la série. Je préfère avoir une fin ouverte qu’une mauvaise fin.

Cinemaniacs : Qu’avez-vous appris de votre travail sur Carnivàle et à la télévision ?

D. Knauf : J’ai commencé très vieux dans ce domaine. J’avais 42 ans lorsque j’ai débuté à la télévision. Je suis arrivé en tant qu’adulte complètement formé. (rires) J’ai appris que faire une série et diriger une société est très similaire. Je n’ai pas beaucoup appris mais le plus important est d’être sûr d’aimer ce qu’on fait. J’étais passionné par Carnivàle et j’ai été dévasté lors de son annulation. J’en fait encore douloureusement mon deuil. Mais j’ai eu la chance d’avoir plus de bons souvenirs que de mauvais. Toutes les personnes sur Carnivàle adoraient la série. Dès la publication d’un nouveau scénario, les gens sautaient dessus pour savoir quelle allait être la suite de l’histoire et non pas pour connaître leur boulot du lendemain. Ils lisaient les scénarios par plaisir. On sentait qu’on faisait quelque chose de spécial. J’espère sincèrement récidiver cette expérience. J’ai travaillé sur d’autres séries où ce n’est que boulot. Je préfèrerais faire des hamburgers que m’investir dans une série qui ne m’intéresse pas. J’ai appris à priorétiser mon travail. Certaines personnes font des séries rien que pour être dans le business. Le but est de travailler avec des gens qu’on aime et qu’on respecte. J’ai eu beaucoup de chance sur Carnivàle.

Cinemaniacs : Il semble que la télévision soit devenue un meilleur média que le cinéma pour raconter des histoires...

D. Knauf : Oui, absolument. Le cinéma est devenu trop saturé. A la télévision, on prend le temps de développer des personnages. On peut se permettre des moments de silence. Ce qui est impossible dans un film où tout doit s’enchaîner. C’est difficile d’expérimenter au cinéma en raison de l’argent. La TV n’est pas aussi cher car on travaille plus vite.

Cinemaniacs : Quels sont vos projets ?

D. Knauf : Je viens de terminer une adaptation moderne de quatre heures de Dracula pour ABC. L’histoire se déroule à New York et en Roumanie. C’est à mon avis la plus fidèle adaptation du roman de Bram Stoker, même si c’est contemporain. Je travaille également sur un pilote de deux heures pour Sci-Fi, Dark Fall, et je fini IronMan pour Marvel. J’y travaille depuis 1 an. C’est pas mal... Mon rêve serait d’écrire un opéra de quatre heures pour la télévision.